jeudi 1 février 2024

Jabbour Douaihy : Loubnan ou l’histoire d’une mélancolie

Jabbour Douaihy nous a quittés le 23 juillet 2021. Cet écrivain amoureux de la vie a glissé son dernier souffle, telle une révérence, dans un ultime ouvrage qui vient clore le cortège de son œuvre et dont la traduction en français est parue récemment aux éditions Sindbad/Actes Sud.

Il est difficile de ne pas entrevoir dans le parcours du personnage principal de son dernier roman Il y avait du poison dans l’air des résonnances avec sa propre histoire. C’est un peu comme s’il revisitait pour la dernière fois des souvenirs d’enfance, de jeunesse et des lieux qui lui étaient chers entre la montagne de ses origines et Beyrouth la capitale.

Au gré de ce voyage, son personnage se fait le narrateur de l’histoire douloureuse d’un pays en proie à des crises et des guerres récurrentes, entamant à chaque fois un peu plus sa capacité à se relever. Comme si le destin ou la malédiction s’arrangeaient à chaque fois pour une raison occulte pour que «Saint Georges regarde toujours ailleurs», lorsque le pays se déchire.

jeudi 1 juin 2023

Le coût des sentiments

Taleb Alrefai est né au koweit en 1958. Enseignant en écriture créative à l’Université Américaine de Koweit, il occupe dans le même temps un poste de responsabilité au Conseil national de la culture, des arts et des lettres du ministère de l’Information. C’est également un journaliste et un auteur prolifique dont les textes portent un regard situé sur la société koweitienne. La douzaine de romans et recueils de nouvelles expriment son souhait de «donner une vraie image du pays», car selon lui c’est le rôle de la littérature de dessiner avec vérité et authenticité l’état présent de la société. 

Son dernier roman «Les portes du paradis» nous invite à découvrir une histoire captivante jusqu’à la dernière page, narrée par ses personnages principaux. Chapitre après chapitre, l’univers des uns et des autres s’ouvrent à nous avec leurs voix singulières.

Yacoub, un homme d’affaires d’une soixantaine d’année passe le plus clair de son temps à la gestion de son business. Voyages, transactions financières, signature de contrats absorbent toute l’attention de cet homme dont la mission est d’assurer une vie confortable et prospère à sa famille. Il envisage de transmettre son empire à son fils préféré Ahmed qui ne le voit pas de cet œil. Introverti et mystérieux, celui-ci a des ambitions qui sont aux antipodes de celles de son père. Il veut aller en Syrie combattre aux côtés de ses «frères d’arme».

lundi 10 avril 2023

Y a-t-il encore un ailleurs ?

Durant les révolutions arabes, le narrateur de ce roman, un Égyptien
copte vivant à Londres, reçoit un jour l’appel de son ami du Caire qui lui demande d’organiser les funérailles d’un jeune Syrien dont la famille réfugiée en Égypte n’a pas été autorisée à faire le voyage pour l’enterrer. Il y consent non sans peine, car qu’y a-t-il de plus triste pour un étranger que de mourir loin des siens, sans aucune présence clémente pour l’accompagner dans ce dernier voyage? «Si je ne pouvais rien pour les vivants, le moins que je puisse faire était de me rendre utile pour les morts.

Les damnés de la terre

Les vivants qu’il évoque sont le public qu’il accompagne dans son métier au sein d’une administration sociale. Ceux que la société rejette, que l’origine ethnique, géographique, la précarité et parfois les choix de vie relèguent à la marge d’un système conçu pour ne préserver que les privilèges d’une minorité. Avec ses collègues pour la plupart de provenances diverses, il est chargé d’enquêter auprès de populations prioritaires en vue d’octroi de logements sociaux.

samedi 4 février 2023

La mémoire du jasmin

Dans ce roman captivant et remarquablement traduit, Mansoura Ez-Eldin nous propose dans un aller-retour dans le temps et l’espace, entre le Caire et Basra (actuelle Bassorah en Irak), de rencontrer des personnages intemporels dans un récit qui mêle subtilement fiction et réalité historique.

Hishâm Khattab, jeune cairote, ingénieur en géologie au chômage, voue une passion ardente pour les manuscrits anciens. Il s’intéresse en particulier à l’histoire de l’islam et aux grands penseurs musulmans qui ont fondé ou nourri la réflexion théologique de divers courants tels que le soufisme, l’ibadisme, le kharijisme, le chiisme ou le mutazilisme.

À défaut de pouvoir vivre de son métier, il fait du commerce de livres anciens son gagne-pain. Un jour, dans l’attente du passage d’un convoi présidentiel, il aperçoit dans la foule une jeune femme, Mervat, tenant entre ses mains Le Grand Livre de l’interprétation des rêves attribué à l’imam Muhammad Ibn Sîrin, datant du VIIIe siècle. Intrigué par cette femme à laquelle il trouve une troublante ressemblance avec la muse et épouse de Marc Chagall, il l’aborde et de cette conversation naît une relation nourrie de leur passion commune pour l’art et la littérature.

jeudi 5 janvier 2023

Conversation avec l’absent

«Oublie ton nom, tu es le numéro 1858!» dit le geôlier à Mazen al-Hamada lors de son arrestation. Dans l’usine de la mort qu’est la prison syrienne, cette phrase glaçante préfigurait du sort qui l’attendait, lui qui n’était plus qu’un nombre de plus dans la longue chaîne de l’abattoir.

Mazen al-Hamada, un jeune homme de Deir Ezzor, issu d’une famille nombreuse, aimante et politisée, s’était comme beaucoup de jeunes de son pays engagé avec espoir dans la révolution syrienne. Arrêté, cruellement torturé et violé, il finit par prendre la route de l’exil qui le mènera après maintes péripéties aux Pays-Bas.

Résolu à parcourir le monde et témoigner de l’horreur vécue, Mazen a livré des heures de narration à la journaliste Garance Le Caisne, autrice du livre documentaire à la renommée internationale Opération César, Au cœur de la machine de mort syrienne.

jeudi 1 décembre 2022

Brigitte Giraud : Questionner le destin

La perte brutale d’un être cher ouvre un gouffre béant qui, à défaut ou en attendant d’être colmaté par le processus du deuil et de l’acceptation, laisse s’échapper, telle une lave en fusion, des interrogations lancinantes et de la culpabilité. Dans ce temps suspendu, les questions obsédantes emboîtent le pas à la sidération. Comment continuer à vivre après la perte de l’être cher ? Pourquoi lui, pourquoi moi ? Pourquoi maintenant ? Et si ce jour-là, par une sorte d’intuition, de choix différents, il avait été possible d’altérer le destin ?

 

dimanche 7 août 2022

De corps et d’exils

Le dernier récit que nous livre l’écrivaine Fawzia Zouari s’apparente à un long voyage trouvant sa source dans les territoires de l’enfance et du féminin. Le corps des femmes constitue la trame principale sur laquelle vont venir se déposer des souvenirs, des peurs, de la cruauté, de l’affection et de la nostalgie.

De sa Tunisie natale, plus précisément de son village, Ebba, l’autrice se raconte, enfant au lendemain de l’indépendance, dans cet entre-deux encore imprégné de présence coloniale et en transition vers un destin aux promesses multiples. Le sien la mènera de l’autre côté de la Méditerranée par un chemin qui relève du miracle tant les obstacles à l’être femme étaient innombrables à l’époque.

À Ebba, l’espace privé et l’espace public étaient strictement délimités. «Le monde se divisait en deux dans mon village. Il y avait les femmes avec leurs silhouettes ajourées, leurs incantations, leurs douleurs, leurs pouvoirs domestiques mais aussi leur mystère nimbé de silences perfides et de larmes. Et il y avait les hommes régnant à l’extérieur, complexes, aventureux, puissants, imprévisibles.»